Sur le sable, sur la boue ou dans la neige, le marcheur laisse forcément l’empreinte d’un cheminement.
C’est son second voyage, celui de la mémoire.
Et moi, je suis un randonneur fatigué.
Alors, je me retourne. La longue sinuosité de mes pas se perd dans une nébuleuse, derrière des rideaux de forêts.
Je suis sorti de ces antiques futaies, tout là-bas. Comme d’une forêt hercynienne.
Devant, la plaine est vierge. J’ignore quels seront les dessins que mes souliers vont y inscrire.
Mais je sais bien où ils vont. Je sais bien le projet de mes pas. Je ne sais pas leur nombre. Je vais peut être ralentir et penser à ces traces de pas, tendre l’oreille pour écouter comment elles vivent leur vie de traces de pas.
Mais la plaine semble effrayante. Balayée par les vents, on dirait qu’elle s’enfonce dans la terre, là-bas, qu’elle veut l’étreindre, s’y confondre et s’y perdre.
Elle courbe l’échine, vaincue par l’horizon.
Le courage m’abandonne, je le sens bien. Je vais renoncer et remonter jusqu’aux forêts, derrière. Je vais marcher là où j’ai déjà marché pour arriver jusqu’à cette fatigue et jusqu’à cette peur.
Mais, volontaire, j’abîme le contour des pas anciens. Dans ce sens là, je ne sais pas marcher avec aisance et naturel. Aller jusqu’au bout de ce muet sentier, c’est trébucher à coup sûr. Tomber peut-être.
On ne descend pas de cheval pour se regarder monter.
Et il n’y a que fantômes au bord de ces signatures qui ricanent de ma vaine aventure à vouloir les faire vivre deux fois. Parce qu’ils sont des fantômes, ils ne comprennent pas que c’est moi qui veux vivre deux fois. Si j’avais su tout cela, si j’avais su la mélancolie de ce désespoir des étoiles, j’aurais tourné en rond. A un certain moment, forcément, je me serais revu, je me serais fait un signe de la main, je me serais salué, tout en continuant d’accomplir mon destin de marcheur vers cette échine, là où l’horizon et la terre s’embrassent.
Ces pas sont ma consternation. Ils n’ont rien résolu des fondements du voyage.
Il n’y a de salut que dans la relecture de ces épitaphes à la rencontre desquelles je m’efforce désespérément d’aller, pour occulter la plaine.
C’est une mémoire qui sert à oublier.