mercredi 21 mars 2007

Rien

Rien.
Il n’y a rien dans l’âme humaine qui ne soit perverti par la peur.
De soi-même.
Mais comment avoir peur de soi-même, à moins d’être un autre ?
Des autres.
Mais que sont les autres sinon l’idée que l’on s’en fait, comme une projection de soi-même ?
De la fin.
Mais comment avoir peur d’une fin si c’est vraiment une fin ? Comment avoir peur de rien, s’il n’y a rien, pas même la conscience du rien ?
Me le direz-vous, à la fin ?!
S’il y a de la peur, il n’y a pas de néant.
D’un dieu, alors ?
Mais comment avoir peur d’un dieu, s’il n’est un dieu mauvais, laid, méchant, cruel, pervers et monstrueux ?
Là, d’accord, je veux bien avoir peur.
Mais vous rendez-vous compte à quel prix, frères humains ?
Il faudrait incendier la planète tout entière pour rectifier l’abyssale méprise. Et encore…

Je marche dans la plaine en longeant des forêts qui se courbent, se bousculent et qui hurlent et qui gémissent. Je suis effrayé.
S’il n’y avait ces arbres, je ne verrais ni n’entendrais ce vent.
De quoi ai-je peur alors ?
Des arbres ou du vent ?
Je n'en sais rien.
Si.
Je crois que j’ai peur de rien…Et c'est ce qui m'effraie.

mardi 13 mars 2007

La toponymie médiatrice


Je me souviens d’un différend ayant opposé fermement deux hommes qui se prétendaient chacun propriétaire d’une même parcelle de terrain et qui eût trouvé son aboutissement devant les flasques bajoues d’un juge de tribunal d’instance endormi si, chaussant leurs bottes et ayant empoché les photocopies du cadastre, les deux protagonistes ne s’étaient rencontrés sur le terrain et ne s’étaient alors l’un et l’autre piqués subitement de toponymie.
C’était en région saintongeaise.
La parcelle était longue de deux cent cinquante mètres au moins et large de six mètres seulement. Elle était située à l’orée d’une petite forêt de chênes.
Pour l’un, elle constituait l'extrémité des prairies qui vallonnaient jusque là depuis la rivière en contrebas, pour l’autre elle était au contraire la fin des bois, la lisière, qu’il se proposait d’ailleurs de couper pour sa provision de chauffage.
Il y avait là de beaux fûts de chênes noirs.
On était en novembre et le vent de l’ouest se balançait doucement dans les feuilles bigarrées. Une à une, elles venaient se poser sur les chemins fangeux, doucement, délicatement, comme pour ne pas y mourir trop brutalement.
Les deux hommes possédaient des actes en bonne et due forme et arpentant , mesurant, multipliant par l’échelle du plan cadastral, ils tombaient invariablement sur la même bande de terre, trois mètres de pré, trois mètres de chênaie.
Ils en juraient tous leurs saints dieux.
L’un tenait cette parcelle de son père qui la tenait de son grand-père maternel qui la tenait lui-même d’une dame Dupont née Durand et de…
Les noms changeaient, on se perdait dans la généalogie.
L’autre prétendait aux mêmes héritages, sauf que, léger avantage, le grand-père était paternel et que donc le patronyme voyageait beaucoup plus loin dans le temps.
Erreur de bornage, de cadastre, de successions, d’inscriptions ? Ce bout de terrain était à l’un et à l’autre, moitié pacage, moitié taillis et il faudrait bien finir par en appeler au jugement public.
On se désolait de part et d’autre de la longueur de la procédure et surtout des frais.
On se lorgnait alors, on se toisait, on se jetait des regards torves car lesdits frais, on le savait trop bien, seraient réclamés au perdant.
Etait-ce bien raisonnable ?

L’un dit qu’il avait entendu son grand-père nommer l’endroit le Bois des Essarts.
L’autre contesta. Chez lui, on appelait ce terrain Les Renfermis.
On s’agrippa, on s’énerva. On se traita de menteur et de voleur et, la fantaisie de faire les érudits ne les eût-elle pris, qu’on en serait sans doute venus aux mains…
Les Renfermis, rin de tout ça dans la mémoire de notre famille !
Les Essarts, que ça veut dire quoi Les Essarts, pour dire un bois ?
Une prairie !
Non. Un bois !
Les Essarts, ignorant que tu es, ça veut dire un endroit qui a été défriché.
Les Renfermis, ignorant toi-même, ça veut dire un champ entouré de bois, naturellement clos, tellement qu’on peut y mettre les bêtes à paître sans surveillance.
Les lourds dictionnaires ayant été consultés derechef au détriment des minces actes notariés, on en vint à dire que l’endroit avait été travaillé jadis par deux ancêtres peu scrupuleux, l’un ayant fait reculer le Bois des Essarts et l’autre, au contraire, l’ayant laissé gagner sur Les Renfermis.
La bande de ce minuscule coin de la planète appartenait bel et bien aux deux compères.
On calcula des heures et des heures, on griffonna, on ratura, on se prit presque par le colbach avant d’arriver à un certain litrage de lait à fournir à l’année en échange d’un cubage pour prix équivalent de bois de chauffage.
Ce après quoi, on trinqua abondamment à la santé des dictionnaires et, se tapant fort sur les cuisses, on dit que nom de dieu, on avait bien fait de ne pas s’aller fourrer entre les pattes des chats fourrés !

jeudi 8 mars 2007

Correspondance

Vieille tour que le soir dorait dans le lointain,

Je me méfie : 11.30 : la réponse risque d’être longue. Vaut mieux fichier joint.
Bien reçu tes explications sur lesquelles il me faudrait rebondir, mais si on passe son temps à rebondir, on ne va pas au but. Oh ! Oh ! le poète exilé, il va me dire : « Mais il n’y a pas de but » Mais moi, le foot, je n’y ai joué qu’à trois, sur le parvis du temple protestant à La Rochelle, avec mon frère et mon cousin, mon frère était attaquant, mon cousin, goal, et moi, qui suis resté le plus fier, « goal volant ». J’aimais bien ça, goal volant, pour le mot d’abord, et puis parce que je me faisais pas chier à attendre que la balle arrive, comme tous ces fainéants de goals qui sont payés des fortunes pour regarder le match mais bon je digresse. Tu vas me dire, si on rebondit, on arrive plus vite en touche, et la vraie partie, elle se joue là, tout autour des touches. Oh ! Oh ! poète, rue St Michel, il n’y avait qu’une touche, sur le parvis du temple, en face, c’était le mur. Quand la balle partait en touche, fallait traverser la rue, avec les deux chevaux, les arondes, les ondines, les dauphines, les quatre chevaux, les quatre santrois, les juva 4, les Ysetta, les tractions, et les clochards qui poussaient une charrette tirée par-dessous par deux chiens serviables et, il faut bien le dire, efflanqués.
Je suis bien d’accord avec toi, sur la façon d’écrire qu’on sent bien une mode, qui voudrait sonner le glas de ce qui précède alors qu’elle ne sonne que le creux de ce qui risque de suivre. Mais je crois que j’en parle dans ma lettre, elle doit être en train –ou en avion- de passer la frontière en ce moment. Mon copain Patrick, li, se réclame du romantisme allemand, mais je ne trouve que des définitions floues, il faudra que je regonfle mon ballon, de cet air dont on fait les flûtes.

Avons joué au Corrigan’s hier soir, jusqu’à une heure de ce matin. Un admirateur, mais le mot est un peu fort, m’a dit qu’il existait des partitions et un groupe spécialisé dans le Brassens irlandais. L’expression fait mal, mais je savais qu’il y avait quelque chose à faire dans ce sens. Après que j’ai chanté Les dames du temps jadis, le groupe reprend le thème en valse un peu moyenâgeuse, et poursuit par une valse irlandaise qui lui ressemble fort et c’est très beau, oui monsieur, très beau. Les reels irlandais ne sont ni plus ni moins que les tchapoum tchapoum du poète callipyge. J’ai chanté avec autant de plaisir que de succès, vois la modestie de mon propos, « Pour me rendre à mon bureau » de J Boyer, que le poète cacochyme interpréta bêlement.
Mais je m’égare, je m’égare, j’ai voulu répondre surtout à ta demande de Souvenir de Concert , que je pense avoir satisfaite par un fichier joint quelque part. Mais si, tu l’as reçu puisque tu m’as demandé si il fallait corriger « Wieshna » par Wioshna ». Enfin , je le joins quand-même. J’en n’ai pas fait d’autre depuis.

Ici, la pluie, la pluie, la pluie. Mais c’est bien. On a battu le record de février et c’est bien pour la nappe. Le Mignon est devenu ravissant. Ils vont pouvoir reprendre le maïs. Pour ma part, j’ai trois tâches en vue pour cette journée de vacance en solitaire. (Jan est partie bosser à 7 heures, à Bordeaux) :
regarder le double DVD que Gilles m’a prêté : « No direction Home » de Scorsese, sorte de biogaphie- reportage-film-concert sur Bob Dylan.
Dès que la pluie cesse, filer à Benon, parce que je sais qu’ils ont une thèse sur les origines du village, et je me souviens vaguement de la première page qui dit que le mot vient de BENE… : « où il fait bon vivre », un peu comme ben’aise. Ce gros bouquin (jamais édité) relié par les moyens Dubord, a été en vente au tabac de Courçon jusqu’au mois dernier, où son auteur mourut de sa belle mort, il s’appelait Bonneau et il était venu me voir quand j’enseignais là-bas, pour consulter les registres d’appel du siècle antepénultième. Je dois voir aussi pour Champ Chalons, c’est là qu’ils ont trouvé les tumulus, mais rien non plus sur les sites de toponymie que tu as dû consulter.
Poursuivre mon étude du Modeste, qui n’avance que modestement et dont je te livre les deux premières lignes :
« Les pays, c’est pas ça qui manque,
On vient au monde à Salamanque »

Ça y est ! Nous sommes chez Brassens…

Que voilà un bon début ! tout le reste est étiqueté mais non rédigé. Le plus agréable reste à faire. Ça viendra, ça viendra. Paris ne s’est pas fait en un jour. Tous les proverbes ont beau être cons dans le fond, parfois, la forme est belle. Il faudrait faire un recueil de tout ça, avant qu’ils ne disparaissent.

- Oui oui, Monsieur l’Inspecteur.

Bisoudom.
Dominique

vendredi 2 mars 2007

De la corde de pendu....


Brassens, dont les béotiens de tout poil ont dit, disent et diront encore longtemps qu’il ne s’engageait pas pour les grandes causes et sur les grandes préoccupations de son temps, ceux-ci considérant sans doute que s’engager c’est porter ostensiblement à bout de bras les drapeaux de ses convictions, avait pourtant fait en même temps son entrée et un scandale par un pamphlet remarquable contre la peine de mort, Le Gorille.

Forestier raconte cette anecdote où de jeunes artistes - dont lui - avaient justement organisé, bien plus tard, un concert contre la peine de mort. Ils avaient invité Brassens qui gentiment avait décliné, disant qu’il n’était pas à son aise dans les grandes kermesses et que sa présence n’apporterait pas grand-chose de plus à cette manifestation qu’il soutenait néanmoins de tout cœur.
A force d’insistance et pour faire finalement plaisir à ces sympathiques chevelus, Brassens consentit tout de même à faire une furtive apparition, mais hors affiche.
Ce fut bref.
Le poète moustachu entonna deux titres, le pied sur son éternelle chaise et aux lèvres le non moins éternel sourire, avant de céder précipitamment la vedette aux jeunes artistes.
Bien trop bref.
Le public se leva, réclama, appela, se bouscula, hua, à tel point qu’on rattrapa Brassens qui déjà s’était installé au volant de sa DS et qu’on le supplia de remonter, sans quoi la soirée risquait de tourner à l’émeute.
On remit la chaise à sa place et Brassens interpréta, magistral, Le Gorille. Il y eut alors quelques secondes d’un silence pathétique avant le tonnerre d’applaudissements, quand il conclut :

«Comme l‘homme auquel le jour même il avait fait trancher le cou !»

Emu, Forestier se souvient : « Tous avons su alors pourquoi il était venu. Mais il nous a fallu attendre le dernier vers. Pour ne pas nous faire de l’ombre, à nous, jeunes artistes de la contestation…»

Ce fut la seule contribution de Brassens à un concert militant et c’est vrai que le dernier vers tombait comme un couperet. C’est d’ailleurs l’unique fois, si ma mémoire ne me joue pas un sale tour, où Brassens dans ses poèmes fait directement allusion à cette horreur sanglante que fut la guillotine.

L’inconditionnel de Villon quand il évoque le châtiment suprême parle de la pendaison, que ce soit dans la Mauvaise réputation, la Messe au pendu, Celui qui a mal tourné, le Moyenâgeux, les Quatre bacheliers, le Grand chêne, Mourir pour des idées ou encore, magnifique, le Verger du roi Louis de Théodore de Banville.

Le temps nous joue des tours et des erreurs de parallaxe.
« Plus de danse macabre autour des échafauds » qui déjà peut nous paraître suranné, a été écrit dix ans, oui, dix ans avant l’abolition de la peine de mort.

Je ne suis pas certain que les visions des poètes de ce début 2007 portent aussi loin leurs lumières et leurs exigences humanistes.