vendredi 2 mars 2007

De la corde de pendu....


Brassens, dont les béotiens de tout poil ont dit, disent et diront encore longtemps qu’il ne s’engageait pas pour les grandes causes et sur les grandes préoccupations de son temps, ceux-ci considérant sans doute que s’engager c’est porter ostensiblement à bout de bras les drapeaux de ses convictions, avait pourtant fait en même temps son entrée et un scandale par un pamphlet remarquable contre la peine de mort, Le Gorille.

Forestier raconte cette anecdote où de jeunes artistes - dont lui - avaient justement organisé, bien plus tard, un concert contre la peine de mort. Ils avaient invité Brassens qui gentiment avait décliné, disant qu’il n’était pas à son aise dans les grandes kermesses et que sa présence n’apporterait pas grand-chose de plus à cette manifestation qu’il soutenait néanmoins de tout cœur.
A force d’insistance et pour faire finalement plaisir à ces sympathiques chevelus, Brassens consentit tout de même à faire une furtive apparition, mais hors affiche.
Ce fut bref.
Le poète moustachu entonna deux titres, le pied sur son éternelle chaise et aux lèvres le non moins éternel sourire, avant de céder précipitamment la vedette aux jeunes artistes.
Bien trop bref.
Le public se leva, réclama, appela, se bouscula, hua, à tel point qu’on rattrapa Brassens qui déjà s’était installé au volant de sa DS et qu’on le supplia de remonter, sans quoi la soirée risquait de tourner à l’émeute.
On remit la chaise à sa place et Brassens interpréta, magistral, Le Gorille. Il y eut alors quelques secondes d’un silence pathétique avant le tonnerre d’applaudissements, quand il conclut :

«Comme l‘homme auquel le jour même il avait fait trancher le cou !»

Emu, Forestier se souvient : « Tous avons su alors pourquoi il était venu. Mais il nous a fallu attendre le dernier vers. Pour ne pas nous faire de l’ombre, à nous, jeunes artistes de la contestation…»

Ce fut la seule contribution de Brassens à un concert militant et c’est vrai que le dernier vers tombait comme un couperet. C’est d’ailleurs l’unique fois, si ma mémoire ne me joue pas un sale tour, où Brassens dans ses poèmes fait directement allusion à cette horreur sanglante que fut la guillotine.

L’inconditionnel de Villon quand il évoque le châtiment suprême parle de la pendaison, que ce soit dans la Mauvaise réputation, la Messe au pendu, Celui qui a mal tourné, le Moyenâgeux, les Quatre bacheliers, le Grand chêne, Mourir pour des idées ou encore, magnifique, le Verger du roi Louis de Théodore de Banville.

Le temps nous joue des tours et des erreurs de parallaxe.
« Plus de danse macabre autour des échafauds » qui déjà peut nous paraître suranné, a été écrit dix ans, oui, dix ans avant l’abolition de la peine de mort.

Je ne suis pas certain que les visions des poètes de ce début 2007 portent aussi loin leurs lumières et leurs exigences humanistes.