mardi 27 février 2007

Souvenir de concert


-Il est bon de se souvenir de concert-
D.Le Saout


C’était en Pologne.
Ils disaient qu’on était au printemps.
« Wieshna », si mes souvenirs sont bons.
On aimait les profs de français, toutes joliment dégarnies des chevilles jusque bien plus haut.
Toutes, un excellent niveau de français…
Le christianisme à 95% admet la mini-jupe si elle est bleu marine et plissée.
On leur disait, de collège en collège, d’un air le plus entendu possible : « Wiehna ? »
Elles répondaient invariablement, les yeux brillants de tant de promesses : « Tak tak ! »
« Oui oui ! » s’empressait notre interprète-chauffeur-ingénieur du son-garde du corps jaloux.
Elles étaient contentes de tant de communication, et nous, on rêvait de cette double onomatopée en les suivant au talon, tête baissée.
Ce jour-là, quelle effervescence dans ce collège du far-est !
Un sous-chef diligent, moustachu et sûr de sa cause, menait les affaires rondement.
Nous étions plus qu’attendus : tapis rouge de confusion, courbettes et bouches en coeur à l’ouvrage.
Ce couloir était à notre grande joie, interminable : nous nous bousculions tous les quatre (on avait les guitares) pour suivre notre « Nathalie ».
Nous croisions des profs bienveillants, des pions flattés, des balayeuses admiratives, des adolescent(e)s en émoi, des inspecteurs entièrement d’accord.
Je pensais, trac aidant, à ces gladiateurs acclamés dans les couloirs obscurs et suitants, titubant vers ce trou aveuglant de lumière, cette arène grondante d’impatience où morituri te salutant.
Ce fut pire.

Il faut connaître le fabricant de cerf-volants avec le drapeau tricolore, le remord de la légion d’honneur, le tapeur de cul par terre, l’arborant de toupet, le lanceur de patte aux culs terreux, l’éternel moins de quatre, qui m’accompagnait pour comprendre la surprise, la stupeur de se retrouver sous la lumière crue d’un gymnase bondé qui applaudit à tout rompre ces deux écornifleurs de mots si savamment ficelés par leur maître Georges.

Il faut s’imaginer nos deux potes impressionnés devant un immense rideau rouge où brillait par son manque de sens une phrase en polonais signée Jean Giono, tandis qu’au comble de l’horreur, de son bel accent de demoiselle d’Avignon, Mireille Mathieu coassait la Marseillaise aux oreilles de quelque six cents personnes, debout, les métacarpes douloureusement maintenues dépliées.
J’entendis mon troubadour en jean murmurer : « Dominique, dis-moi que c’est pas vrai. »
Je m’entendis répondre : « Chut ! Tiens-toi droit, et sors la poitrine ! »
Habitués à un garde-à-vous de toute autre nature, nous sûmes maintenir la position.
Lorsque le sang impurr eut abrreuvé nos microsillons, nous entonnâmes sur une jambe :
« Comme de la patrie, je ne mérite guère, »
« J’ai pas la croix d’honneur, j’ai pas la croix de guerre »

Dans le tombeau ouvert qui nous servait de taxi,sur la route du retour défoncée par les neiges d’antan, on pissait de rire.

Dominique Le Saout

Nota bene : La phrase de Giono disait, mais c'était pas évident : " Tous les pays, comme les gens, ont de la noblesse quand on développe avec eux des rapports amicaux."