mardi 10 avril 2007

Quiproquo toponymique

En toponymie, langage émotif de la mémoire collective, tout peut dépendre des dispositions de l’esprit présent.
J’en veux pour preuve cette plaisante anecdote dont fut dernièrement acteur et témoin un vieil homme de Podlachie, anecdote véridique rapportée d’ailleurs par quelque quotidien de la région, ce qui, je vous l’accorde, ne constitue pas un gage d'irréfutable authenticité.
Toujours est-il qu’après Wiznice, si on file en direction de Lublin, on traverse un village du nom de Kolano. Cela signifie littéralement « le genou.» Bien sûr, des raisons précises doivent présider aux origines de cette appellation mais, pour l’heure, nous les ignorons.
A quelques kilomètres de là, derrière la forêt, un autre hameau plus petit, posé sur une timide élévation recouverte d’arbres, se fait appeler Puchowa Góra « le mont duveteux ». La topographie est là beaucoup plus éloquente. D’en bas, en effet, les cimes en dentelles de ces arbres forment comme un duvet que le soleil couchant, derrière, arrose à contre-jour.
Or, il advint qu’une dame distinguée voulant se rendre dans ce hameau, s’égara, tergiversa et finit par s’arrêter à Kolano afin de s’y enquérir de la juste route.
Elle stoppa donc sa voiture, en descendit fort élégamment et héla notre bonhomme trop content, quant à lui, de causer à quelqu’un, pour rendre service de surcroît, dans ces mornes solitudes qui font les longs après-midi de la campagne.
Il dit que c’était simple.
A partir du genou, il fallait remonter doucement.
Il montrait d’un geste du bras la petite route qui s’enfonçait dans l’épaisseur des bois.
Sa main s’inclina devant son visage et il fit mine de remonter….Il fallait remonter doucement et en haut, hop, au carrefour, tourner tout de suite à droite.
Il se reprit. Venant du genou, ça pouvait aussi bien être à gauche qu'à droite Le petit mont duveteux était de toutes facons en face, juste au milieu.
Ça le fit rire, lui, qu’on pouvait arriver de tous les côtés au petit mont duveteux.

La dame distinguée ne l’entendit point de cette chaste oreille. Elle avait tout d’abord froncé les sourcils, dubitative et interloquée, avant de foncer tête baissée dans ce qui lui avait semblé être, à n’en pas douter sur la foi de ce petit rire, une allégorie des plus licencieuses.
Elle rejoignit alors précipitamment sa voiture, effarouchée comme une poule qui aurait vu le goupil, la mèche des cheveux indignée, invectivant, insultant, levant le poing et vouant aux gémonies ce vieux malade, lubrique et délabré.

Notre homme était cependant resté bouche bée, complètement abasourdi par cette volée de bois vert qui lui tombait si brusquement dessus.
Ce ne fut que quelque temps plus loin, alors que la voiture avait depuis belle lurette disparu et que, vexé, il réfléchissait encore à l’incivilité de cette réaction, qu’il comprit enfin l’étendue de la méprise.
Alors, on entendit son rire briser le silence du chemin et qui s’envolait très haut dans l’air immobile de Kolano.
Distinguée, la dame ? Une fieffée coquine, oui, et il penchait la tête et il se frappait les cuisses et il se tenait les côtes.
On ne voit que ce à quoi on pense trop. Ah, la gourgandine !
Elle était partie voir le loup, assurément, conclut-il.